
Frédéric Dardel,
Président de l’Université Paris Descartes
L’actualité fourmille de sujets de controverse dans lesquels la dimension scientifique est centrale. Batailles d’experts, arguments d’autorité, contestation et dénigrements en tout genre polluent le débat public.
La science est souvent sur la sellette lorsqu’elle entre en conflit avec des agendas politiques, des intérêts économiques ou les convictions philosophiques/religieuses des individus. On constate qu’il existe aujourd’hui une remise en cause générale de l’expertise scientifique sur un grand nombre de ces thèmes de société conflictuels (vaccins, réchauffement climatique, OGM, médecines « alternatives », pesticides…).
Une partie des mécanismes qui conduisent à cette défiance vis-à-vis des scientifiques est ancienne : la Science se construit sur la curiosité et sur le doute, alors que la société et les politiques attendent des certitudes et des solutions. La démarche scientifique et l’esprit critique qu’elle présuppose ne sont pas toujours compris par le public. La traditionnelle prudence d’expression des scientifiques est parfois prise pour une forme d’incertitude ou d’embarras qui ouvre la porte au dénigrement.
La défiance vis-à-vis de l’expertise scientifique s’appuie aussi sur des nouveaux mécanismes : des groupes d’influence envahissent les médias et un flux continu de contre-informations déferle sur les réseaux sociaux. Des experts auto-proclamés, des sites web activistes diffusent des messages opposés au consensus des scientifiques. Ils dénigrent ces derniers, souvent qualifiés au choix de « vendus au lobby BigPharma/agro-alimentaire/industrie chimique… ». Il est vrai que quelques affaires de fraude dans le monde scientifique ont pu alimenter la suspicion, sans pour autant qu’elles soient représentatives des pratiques de notre communauté.
Internet et les réseaux sociaux favorisent la formation de ces communautés actives qui relaient ces messages, se citent, instillent le doute, allant parfois jusqu’à une forme de complotisme. Souvent avec beaucoup de raccourcis, mélangeant coïncidences et anecdotes montées en épingle, sans se soucier de validation, de statistiques ou de preuves de causalité. Le public peut avoir du mal à faire le tri dans ce flux hétéroclite. Ces communautés activistes se transforment parfois en véritables lobbies plus ou moins formels, pouvant à l’extrême aller jusqu’à la dérive sectaire. Elles forment le terreau des pseudosciences et leur cortège « d’experts », souvent producteurs d’une littérature sensationnaliste appuyant leurs thèses. Lorsque de telles communautés sont assez larges, elles ont l’impression de détenir une légitimité démocratique leur permettant d’imposer leur point de vue aux pouvoirs publics.
Pourtant, la science n’est pas une démocratie : la vérité scientifique ne dépend pas d’un sondage ou d’une élection, mais s’appuie des preuves établies par une démarche rigoureuse.
C’est la mission de l’Université de faire progresser la Science, de former ses étudiants à la démarche scientifique et à l’esprit critique et de contribuer à diffuser la connaissance scientifique établie auprès du public.
Merci pour ce texte.
Tout à fait d’accord avec la reconnaissance que la pensée scientifique (Avec en amont la pensée rationnelle et l’esprit critique) représente un immense progrès humain… qui doit être accompagné d’un certain nombre de valeurs. Mais il faut bien distinguer la science et les scientifiques qui sont des humains parfois soumis à certaines faiblesses dont l’origine a un nom : l’argent. C’est pourquoi la « caution » scientifique est très recherchée par les empires marchands (tabac, médicaments, pesticides, etc) et certains politiciens (là, je ne cite personne…).
La vérité est extrêmement rare et difficile à obtenir sur tout les sujet mais parfois la méthode scientifique permet de l’atteindre. Ces vérités rares, certes, sont à défendre à tout pris. Le problème est que les sophismes des discussions politiques, le refus de revoir ses opinions, et le détournement de la méthodologie pour obtenir des résultats trompeurs font dire à beaucoup qu’au final « la vérité n’existe pas, tout est subjectif ». Il faudrait simplement faire découvrir la méthode scientifique et les critères de Doll et Hill dans l’éducation de tous.
Excellente analyse, les experts auto-proclamés sont trop nombreux ! Pire encore quand il s’agit de nouvelles de nature « économique » ou politique !